Interview de Thomy Cammarata

Nous avons rencontré Thomy Cammarata le 23 mars 2013 lors d’un de nos ateliers au LAP. Thomy est étudiant francais, qui étudie les sciences politiques en Allemagne et s’intéresse en particulier à l’autogestion et aux écoles différentes. Il est venu à une réunion Transapi du 24 mars nous écouter et nous avons pu l’interroger un peu sur ce qu’il avait lui-même observé.

1) Peux-tu lister les écoles/lycées différents que tu as vu ?

J’ai en France eu le temps de côtoyer rapidement le CLE (Collège Lycée Expérimental) de Caen et le micro lycée de Sénart, mais ceci de manière plus ou moins indirecte, n’ayant pas eu le temps de faire un vrai stage d’observation. J’ai vraiment une meilleur vue du lycée expérimental de Saint-Nazaire – un mois en trois stages au cours de l’année scolaire précédente – et du lycée autogéré de Paris – trois semaines en deux stages pour le moment, sans compter les quelques jours avant les trente ans. Un jour par ci par là dans une école Montessori, et Freinet dans le cadre de portes ouvertes et débats mais c’était des classes de primaire et je préfère plus le niveau lycée où j’ai plus de connaissances par mon investissement personnel.

Le lycée de la légion d’honneur de Saint Denis n’a malheureusement pas pu m’accueillir sur les dates de ma présence en France, mais j’ai pu rencontrer une des jeunes filles afin de discuter avec elle du lycée, tout comme pour le Prytanée (lycée militaire), ce qui me donne donc aussi un petit avis sur des méthodes poussées par d’autres valeurs.

En ce qui concerne l’Allemagne, je suis déjà allé une semaine, dans le cadre d’un échange, au « Gynmasium » (collège plus lycée pour faire simple), et quelques jours au SFE (Schule für Erwachsenenbildung / école pour l’éducation permanente) et à la NSH « Neue Schule Hamburg » (nouvelle école Hambourg). Je n’ai pas eu la chance de pouvoir rester de longs moments par contre, c’était plus une première approche qu’un réel plongeon à l’intérieur, cela ne m’a pas empêcher de lire beaucoup sur le sujet (ci-joint un article j’ai fait pour un journal militant pour te donner un avis et non pour être publié)

2) Laquelle t’a le plus surpris, dérouté et pourquoi ?

Je sais pas si je peux parler de « surprise » car je n’ai pas encore vu assez d’écoles pour cela, ni voyagé dans beaucoup de pays, mais pour le moment je vais répondre le lycée expérimental de Saint-Nazaire et le lycée autogéré de Paris.

J’ai été par contre « dérouté » à Saint-Nazaire pour deux raisons : l’objectif bac est très peu présent (voir le nombre de personne qui s’y présentent le jour de l’examen) et moi qui avait subi la propagande de l’État de bout en bout, à travers l’école et la famille, j’ai du vite me remettre en question plus profondément ! En plus des idées que je me faisais, comme tout le monde, sur un diplôme qui prend trop de place dans le parcours scolaire/universitaire. Ensuite des classes de niveau (2nd, 1ère, terminale) totalement absentes ! Alors là j’ai du me réadapter pour suivre les cours avec les autres expériementalien-ne-s, c’est difficile de passer des belles idées qu’on se fait à travers les lectures et les rêves à la réalité du fait accompli qui demande un véritable effort, car en plus on n’y parle pas d’élève, d’ailleurs ni de prof mais de MEE (qu’on prononce « meuh ») pour membre de l’équipe pédagogique. A rajouter aussi, une autre conception de la démocratie (sûrement plus réelle et poussée à un maximum) qui se traduit par le refus du vote et la recherche du consensus dans toutes les prises de décisions, mais là il me faudrait du temps pour détailler la chose qui, comme à toute chose, à ses propres défauts. C’est donc déroutant d’avoir la liberté de choisir ce qu’on souhaite apprendre sans être bloqué par un programme.

Maintenant le LAP, qui m’a dérouté d’une autre manière, étant donné que ce que je viens d’écrire ci-dessus ne s’y trouve pas, et rien de forcément malheureux à ça ! C’est un lycée qui à la chance d’être à Paris et qui va en exploiter toutes les ressources, on y est prêt de tout, et on y organise aussi beaucoup à l’intérieur, le transformant en lieu culturel intense. On y invite donc toujours les personnes ressources qui semblent nécessaire, et que Paris peut fournir sans effort, de l’intervenant universitaire, aux militant-e-s anti-pub, celles/ceux-ci venant dans différents cadres (TPE, orientation, projets, ateliers, …). C’est aussi une possibilité de sortie infinie que la flexibilité de tou-te-s et du lycée permet.

Il me faudrait maintenant m’étaler sur les points commun de la cogestion générale qui y règnent (j’inclus ici les deux écoles allemandes), l’absence de note, de hiérarchie, l’égalité entre tou-te-s, la méthode d’apprentissage, … Mais ça me prendrait des heures à expliquer quelque chose dont on peut s’apercevoir en mettant un jour ou deux les pieds dedans. Donc j’invite à y passer, regard critique à l’appuie mais surtout avec ouverture d’esprit.

Mais ce qui me manque c’est de ne pas y rester une année entière et j’accorde une importance à la critique de certain-e-s profs et élèves, qu’on ne peut vraiment saisir l’effet de ces structures qu’en voyant les gens, au jour le jour, y évoluer et le plus souvent vers le mieux que le mal.

3) Est-ce qu’il existe des modes de fonctionnement de certaines écoles différentes dont tu te dis qu’ils devraient être généralisés à toutes les écoles? Si oui, lesquels et pourquoi? Si non est-ce que ça veut dire que les écoles doivent chacune trouver leur identité et que rien n’est à généraliser ?

Cette question je l’ai posé à tou-te-s les lycéen-ne-s, parfois de manière rébarbative, que j’ai pu voir et je vais donc être un peu influencé par elles/eux. Mais si je devais le faire aussi cru, on pourrait tout de suite brûler tous les codes de l’éducation, de santé, de sécurité, de ci, de ça, de là, en bref tout ce qui est un temps soit peu liberticide (en dehors du respect, de l’écoute et de la cogestion), agrandir l´hopital de la Verrière et y mettre les membres de l’administration, et les parents qui ont encore une forte emprise sur la vie de leurs enfants.

L’organisation du lycée ne serait pas en elle même changée, mais le cocktail anarchiste «liberté (de venir en cours et/ou d’y interagir)-égalité (élèves, profs, administration, parents) -fraternité (pour tuer la concurrence et les élites)» serait je pense la revendication première qu’il-le-s auraient, tout en laissant un cadre de travail plus strict, mais consenti, pour les élèves qui en ont besoin. Voilà pour ma synthèse, peut-être fausse ou partielle, de ce qu’il-le-s ont pu me dire.

Après je ne peux pas répondre plus, j’en ai presque fait un bouquin dessus en cours de mes années de représentant que je nomme pour l´instant « l’action directe lycéenne, où comment mettre en place l’autogestion dans un lycée ».

Livre dont j’espère nous aurons des nouvelles à la sortie !

4) J’avais lu qu’en France on ne supportait pas les écoles différentes parce que cela nuirait à « l’égalité »; quelle est la situation des écoles différentes en Allemagne? sont-elles mieux perçu par la population ? Existe-t-il des grandes différences entre les écoles allemandes et françaises ? si oui peux-tu expliquer, préciser?

PISA à l’appui, je demande qu’est-ce qui ne nuit pas à l’égalité dans le système éducatif français, même si nous ne sommes pas les seuls ? Si la « lettre au camarade ministre » de Gabriel Cohn-bendit , il y a plus de 30ans de cela, parlait bien de jeunes et de profs en mal du système à qui on devait proposer une solution, il est maintenant vrai que ces écoles alternatives / différentes sont totalement inégalitaires. Celles-ci donnent plus de chance à celles et ceux qui la fréquentent d’arriver à une autonomie, une culture, un bien être, une liberté de pensée et enfin à un plaisir d’apprendre – défendu corps et âme dans beaucoup de chapitre du code de l’éducation et dans les circulaires, bien que totalement contradictoire avec les politiques de « réussite », « d’excellence » par l’échec – que les lycéen-ne-s qui sortent d’un traditionnel.

Donc oui elles sont inégalitaires, car on a plus de chance d’en sortir avec les valeurs données qu’avec un bout de papier qu’on ne cherche pas forcément à avoir.

En qui concerne l´autre point, l’Allemagne, pays fédéral – au même titre presque  que la Belgique, la Suisse, les Etats-Unis – composé de 16 « Bundesländer » autonomes (donc disposant d’un parlement propre), a pu développer des systèmes assez distincts selon là où l’on habite, même si ce que je dis était plus véridique il y a quelques années de ça et surtout avant le « PISA-Schock » de 2000. À ce titre l´Allemagne a depuis l´an 2000 lancé une vraie politique de rénovation récompenser par les résultats de 2009. Vous retrouverez donc un « Abitur » (baccalauréat) reconnu dans toute l’Allemagne, ou encore les structures de bases qui y mènent, mais après tout peut varier … Subventions, frais d’inscription, transports scolaires, présence d’une cantine, bac jusqu’à la 13eme classe (un an après la terminale encore pour quelques Länder) ou 12eme classe (term) selon qu’on est ici ou là.

La tendance est par contre à l’uniformisation avec l’exemple de la Bavière, où j’étudie en ce moment, ou il y a peu de temps les 12ème classe ont passé le bac en même temps que les 13ème, du fait de la réforme diminuant d’un an le cursus du bac menant à l’université. C’est un peu à la française comme on dit ici, surtout que les cours on maintenant tendance à s’étaler sur l’après midi, mais c’est un autre débat.

Donc clairement oui, les écoles alternatives sont mieux vues, il n’est pas rare de rencontrer une personne qui a fait une école Montessori, ou quelqu’un qui a fait une «Waldorfschule » (on dira en français école Waldorf), mais il serait trop long d’expliquer ici le fonctionnement de l’une et l’autre des écoles. Par ailleurs le nombre de ces écoles différentes (alternatives seraient peut-être trop fort ici) écrase celui des françaises et peut-être même de la plupart des autres pays, mais pour le coup ce n’est qu’une vague hypothèse à vérifier.

Merci pour cet échange très riche !

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